C’est dans une crypte sous Bruxelles, celle des Halles-Saint-Géry où il expose, que François Deflandre s'est entretenu avec Patrick Verlinden de son dernier album Le Cercle des Spectres , mais aussi du Sang des Automates et de Puzzle Gothique …
Comment est né Le Cercle des
spectres ?
L’idée vient d’un coup de cœur de
cinéphile. J’ai vu Mädchen in Uniform,
un film allemand de 1931, mis en scène par une des premières réalisatrices de
l’histoire du cinéma, Léontine Sagan. Elle était disciple de Max Reinhardt et
admiratrice de Fritz Lang. Ce film raconte les amours d’une enseignante et
d’une élève dans un pensionnat allemand où règne une discipline dictatoriale.
Un sujet tabou mais aussi une métaphore du nazisme : ce fut un scandale
monumental, le film fut interdit par Hitler et Léontine Sagan dut fuir en
Angleterre. Cela m’a donné envie de développer ce climat-là en bande
dessinée, en articulant mon histoire autour du thème de l’enseignement
rigoriste et de ses dégâts, incarné par Miss Hurt, la directrice à la main de
fer dans un gant … de fer.
Par ailleurs, Le Cercle des Spectres reprend le mode narratif de Puzzle gothique, à savoir le journal d’une femme de chambre : Eloïse est engagée cette fois par une Anglaise schizophrène dont la villa est voisine des ruines calcinées du Saint Jane’s Ladies College . J’avais envie de changer d’atmosphère : après la Toscane caniculaire de Puzzle Gothique, on passe à l’hiver angoissant d’une forêt anglaise …
Par ailleurs, Le Cercle des Spectres reprend le mode narratif de Puzzle gothique, à savoir le journal d’une femme de chambre : Eloïse est engagée cette fois par une Anglaise schizophrène dont la villa est voisine des ruines calcinées du Saint Jane’s Ladies College . J’avais envie de changer d’atmosphère : après la Toscane caniculaire de Puzzle Gothique, on passe à l’hiver angoissant d’une forêt anglaise …
Comme cela se passe en Angleterre, on s’attend à y trouver un manoir,
mais au contraire ton décor est une maison de style moderne …
Je ne voulais pas trop tomber
dans le cliché du manoir anglais. Ca m’intéressait de souligner le contraste
entre une maison très moderne et ce vieux collège incendié, en ruines. L’idée
de ces deux lieux opposés et isolés dans une vaste forêt enneigée, cela m’est
venu assez naturellement, comme un décor qui me trottait dans la tête. Peut-être
une réminiscence.
Autant les deux précédentes BD ( Le
Sang des Automates et Puzzle Gothique
) étaient des récits fantastiques, autant celle-ci possède un climat
fantastique …
Oui, il y a un climat fantastique
mais l’histoire est plus réaliste. Il y a une incursion dans le fantastique
avec les spectres du Mémorial aux 18 disparues du collège, mais je n’ai pas
voulu pousser trop loin dans ce registre, faire des fantômes le thème central,
non, c’est plutôt une porte ouverte à l’imaginaire du lecteur, au cœur de
l’histoire. Mon album précédent, « Puzzle Gothique » baignait dans
une ambiance ésotérique et fantastique. J’aime bien changer de thématique et
d’atmosphère d’un album à l’autre, ainsi le prochain sera consacré à l’univers
du cinéma.
Tu parviens aussi à créer un climat particulier grâce à l’utilisation
d’un papier de couleur ?
Pour chaque histoire j’utilise un
papier de couleur et de texture différentes parce que j’aime bien que chaque
album ait sa propre ambiance. Pour Le
Sang des Automates, c’était un papier gris foncé pour une histoire sombre
où crayons bleus et rouges se donnaient la réplique. Pour Puzzle Gothique j’ai choisi un papier couleur sable évoquant la
Toscane, la lumière, l’été. Un ton qui faisait bien ressortir les ocres des
scènes de jour et les bleus des scènes de nuit.
Pour Le Cercle des Spectres j’ai opté pour un papier aubergine dit
« crépuscule » parce qu’il s’accorde avec l’atmosphère de l’histoire
et les couleurs que j’ai utilisées, les rouges et les gris, cela contribue à renforcer l’ambiance
oppressante de l’histoire. Mon éditeur
soutient cette démarche, c’est une chance, car cela donne des livres pas
évidents à imprimer, il faut pouvoir rendre le fond coloré, sa continuité de
page en page et la technique délicate du bord perdu (non blanc). Pour
l’utilisation du crayon de couleur, c’est intéressant d’avoir un fond autre que
le blanc. En chromatologie, la couleur n’a pas le même rendu sur un fond blanc
que sur un fond de couleur. Sa luminosité ressort beaucoup plus dans le second cas.
Utiliser un même crayon de couleur sur fond blanc puis sur fond coloré, cela
donne 2 couleurs différentes, pourtant c’est le même pigment.
Pour prolonger l’album tu crées une exposition, comme c’était déjà le
cas avec Puzzle Gothique ?
D’une part, comme la première
expo aux Halles-Saint-Géry avait bien donné, on a assez vite envisagé de
renouveler l’expérience pour l’album suivant, en gardant cette idée de
présenter le making of, la réalisation de l’album de A à Z , des sources
de l’histoire jusqu’aux planches abouties, parce que ça peut intéresser les
gens de voir que derrière une BD, il y a tout un travail, toute une élaboration
qu’on ne soupçonne pas toujours.
D’autre part, il y a actuellement
une telle surproduction dans la BD, chaque nouveauté chassant l’autre, que
toute opportunité de présenter et de faire vivre le nouvel album auprès du
public est positive. Enfin, cette crypte est un lieu magique et un peu
mystérieux, au cœur d’un quartier de Bruxelles très vivant et très animé. C’est
un bonheur d’exposer ici. Je suis d’ailleurs tombé des nues lors de ma première
visite : la crypte ressemblait à celle de l’album Puzzle gothique !
Parlons de la couverture et de son importance ?
Chez Mosquito, la couverture est
le fruit d’un dialogue entre l’auteur et l’éditeur, c’est un élément
déterminant car elle doit accrocher l’œil, attirer le lecteur et être
représentative de l’album. Dans la masse de BD qui sortent, le choix de la
bonne couverture devient absolument déterminant. Certains ont regretté qu’Eloïse
ne se trouve pas en couverture de Puzzle
Gothique : nous avions choisi la scène médiévale, une histoire dans
l’histoire. La couverture du Cercle des
Spectres met en évidence le personnage d’Eloïse dans un décor énigmatique,
le but d’une couverture étant d’intriguer mais sans trop dévoiler.
Et si on te demandait de reprendre une série connue, laquelle
choisirais-tu ?
Reprendre une série connue, je ne
suis pas sûr que je serais à la hauteur pour relever ce genre de défi, ni que
cela me motiverait beaucoup. Pourtant, ce n’est pas les séries-cultes qui me
manquent. Mon grand frère, de 8 ans mon aîné, avait tous les Tintin, mais
seulement deux Spirou et Fantasio, un Johan et Pirlouit, un Gil Jourdan. C’est
surtout ces 4 albums-là que j’ai dévorés et redévorés des yeux, avant même
d’avoir l’âge de les lire et d’en compléter les collections, comme autant de
collections de madeleines de Proust. A l’adolescence j’ai eu un flash :
Jacobs, Blake et Mortimer, ces histoires fascinantes, cet art de rendre plus
crédible le fantastique en le faisait surgir dans un contexte très réaliste.
Une efficacité narrative redoutable ! Puis je me suis tourné aussi vers
des BD moins classiques, comme Andreas, et d’autres encore.
Peux-tu élucider pour le lecteur le mystère de tes cases-vitrail ?
Au départ j’utilisais le
« gaufrier » traditionnel, c’est-à-dire des cases droites sur
fond blanc. A l’époque, j’avais réalisé
pour un gros éditeur un projet qui m’avait demandé beaucoup de travail, une BD
très documentée et réaliste, « L’Arme du Ciel » dont il avait même
déjà produit les bleus de coloriage, et puis, à cause d’une valse de directeurs
de collection - grand classique - le projet est tombé à l’eau.
Assez furax, j’ai immédiatement embrayé sur un autre
projet - Le Sang des Automates - et
là je me suis lâché ! Finis les dessins réalistes, les cases rectilignes,
les techniques classiques : j’ai pris du papier couleur, des crayons de
couleurs, et j’ai dessiné des planches « brutes », tracées à main
levée, ce qui a donné ce style qui ondule. Ces « cases-vitrail » sont
donc venues naturellement, presque sur
un mouvement d’humeur, un coup de sang (c’est le cas de le dire), ce n’était
pas du tout concerté ni réfléchi, mais ça correspondait sans doute à quelque
chose d’authentique et de personnel.
Après, évidemment, il a fallu un
rien « domestiquer » cet élan, l’organiser un minimum, le mettre en
adéquation avec les nécessités de la narration.
Et dans mes albums suivants, j’ai évolué vers plus de réalisme dans le
dessin, mais j’ai continué à jouer avec les cadrages, les découpages, la mise
en page, au point que parfois les cases se font puits, portes, armoires, trous
de serrure …
Propos recueillis par Patrick Verlinden
Propos recueillis par Patrick Verlinden