Entretien avec P.Verlinden pour generationbd.com





Après Puzzle Gothique et Le Cercle des Spectres, François Deflandre nous revient avec une troisième aventure de sa femme de chambre, Eloïse Brabant. Notre héroïne va à nouveau être la proie d’un histoire fantastique cette fois ancrée dans le cinéma des années 40 à 70. On retrouve de nombreuses références au cinéma préféré de l’auteur, des allusions à Hitchcock, Luis Bunuel, à Marcel Carné mais aussi plein d’autres clins d’œil. En parcourant ce récit, on sent vraiment que François s’est amusé et tant mieux car c’est contagieux pour le lecteur. Sa ligne est toujours aussi claire, plus réaliste et ses couleurs aussi lumineuses. L’Accessoiriste plaira aux amateurs de bon cinéma, mais aussi aux amateurs de fantastique et de récits qui sortent du canevas trop classique de la bande dessinée formatée telle que nous la connaissons actuellement. Découvrez et appréciez !



Genèse d’un album

« L’Accessoiriste» a commencé par quelques mots griffonnés sur un bout de papier, en référence au film « Les Visiteurs du soir », cette scène médiévale où deux ménestrels sont envoyés par le Diable dans un château où l’on donne un bal. En jouant de leur luth, ils distillent une lente mélodie qui arrête le temps et tous les danseurs se retrouvent figés, à la merci de leurs maléfices. Quand j’étais gosse j’avais été fasciné par ce film.

Ensuite j’ai imaginé que la femme de chambre Eloïse part à Hollywood pour rentrer au service d’un nabab mégalo, un ancien accessoiriste de cinéma du nom de Luis Krell. Celui-ci a mystérieusement fait fortune et possède la plus grande collection au monde d’objets, de costumes et de décors de cinéma. Le personnage de Krell est une évidente référence au film Citizen Kane d’Orson Welles.



Hommages au Cinéma

En partant de là, je me suis amusé à multiplier les clins d’oeil au cinéma des années 40 à 70, ma période préférée, de Orson Welles à Stanley Kubrick en passant par Bunuel et Hitchcock. C’est ainsi que ce dernier apparaît en caméo dans mon récit, comme il le faisait dans ses propres films ! Au fil des pages on rencontre d’autres acteurs et actrices qui m’ont marqué, comme Cary Grant, Grace Kelly, Jean Gabin, Louise Brooks ou Françoise Dorléac, la sœur de Catherine Deneuve qui a connu une fin tragique. Mais tout en multipliant ces références, je me suis obligé à rester dans la logique de mon récit. Cependant, je n’ai pas gardé les noms originaux, je les ai transformés. Au lecteur de s’y retrouver ! Solutions en fin d’album …



Krelland

Le manoir de Krell où se déroule l’action est un impressionnant bâtiment de style gothique qui existe réellement. Ce n’est pas un décor de film et non plus le Xanadu de Citizen Kane. C’est le « Boston Psychiatric Hospital », un bâtiment dont le gigantisme inhumain m’a frappé alors que je visitais une exposition à Gand sur les asiles psychiatriques. Le genre de demeure qui n’est sans doute pas le lieu idéal pour guérir de la folie ! En plus, à Krelland, toutes les pièces sont des décors de films, ce qui met les personnages très mal à l’aise, car au dessus de leurs têtes, pas de plafond, mais des constellations de projecteurs ! Bonjour l’intimité !


Mélanges cinéphiles

J’ai pris des acteurs de cinéma comme personnages mais j’ai aussi mixé des scènes de certains films dans les décors d’autres films : entre autres, L’Année dernière à Marienbad, La nuit du Chasseur, Goldfinger, Rebecca, Viridiana … A vous donner le Vertigo …  Pour les accessoires de « L’Accessoiriste », j’ai fait des recherches sur les objets qui ont un pouvoir magique ou une forte symbolique dans le cinéma, comme par exemple le faucon maltais (que je n’ai finalement pas utilisé car trop évident). Il y a surtout le luth des Visiteurs du soir mais aussi cette boîte à musique issue du film fantastique de Bunuel Ensayo de un Crimen, une boîte à musique qui tue…



Making of

Ce récit, je ne l’ai pas construit comme mes précédentes histoires, je n’ai pas écrit un scénario planifié de A à Z, mais plutôt un squelette autour duquel j’ai articulé l’action, ce qui me laissait pas mal de libertés et d’occasions de me surprendre, tout en ne déviant pas de la cohérence narrative. C’est un luxe qu’on peut se payer quand on est son propre scénariste. Au niveau visuel, j’ai assez vite tracé le plan général, avec la répartition des scènes entre les planches et déjà des embryons d’images.

Au niveau des couleurs, il n’y a ni bleu ni vert, mais une abondance de rouge, couleur chaude mais aussi symbolique de l’infernal. Cette irruption perpétuelle du rouge est sans doute l’influence sur mon imaginaire du film Marnie d’Hitchcock ! Comme à chaque fois, j’ai construit mes planches image par image. Ces images sont au départ toujours très grandes, mon crayon est plus à l’aise pour tracer des grands croquis. Une fois les images d’une page terminées, elles sont assemblées comme un puzzle, réduites ou agrandies sur un papier blanc que j’appelle la « matrice ». Celle-ci sera photocopiée sur du papier de couleur, où je réaliserai la coloration, avec l’aide de ma compagne Natalina Tolu.



Le « style vitrail »

Cette caractéristique que l’on retrouve dans tous mes albums est née d’un mouvement d’humeur : j’avais bossé un an sur une BD de facture très classique et hyper-documentée. Casterman en avait fait réaliser les bleus puis – valse de directeurs de collection – tout est tombé à l’eau. J’étais enragé et frustré, il fallait que je dessine. Adieu le gaufrier : j’ai pris des cartons de couleur, tracé des cases à main levée et dessiné au crayon de couleur sans crayonnés préalables, ce qui a donné un album très brut. C’était le « Sang des automates ». Depuis, fond de couleur et effet vitrail sont un peu devenus ma marque de fabrique.



COUPEZ !